La Société Watchtower, dans son souci de nier la divinité du Christ, déclare que ce verset ne s’adresse pas au Fils mais au Père et étaye son argumentaire en utilisant des déclarations fournies par des spécialistes. L’explication fournie est ainsi implacable et sans appel. Pourtant, qu’en pensent d’autres exégètes ? Comment ce verset est-il traduit dans d’autres versets ?
Dans un premier temps, voici l’explication fournie par la société Watchtower :
“ Dieu, qui est au-dessus de tout ” Rm 9:5 — Gr. : καὶ ἐξ ὧν ὁ χριστὸς τὸ κατὰ σάρκα, ὁ ω̉̀ν ἐπὶ πάντων, θεὸς εὐλογητὸς εἰς τοὺς αἰω̃νας· ἀμήν (kaï éx hôn ho khristos to kata sarka, ho ôn épi pantôn, théos eulogêtos éïs tous aïônas ; amên)
1929 “ et dont le Christ est issu, Le Nouveau Testament, selon l’ordre naturel. par M. Goguel, H. Monnier. Que le Dieu qui est au-dessus — Paris. de toutes choses — [Bible du Centenaire]. soit à jamais béni ! Amen. ”
1963 “ et de qui Christ [est issu] Les Écritures grecques chrétiennes selon la chair : Dieu, — Traduction du monde nouveau, qui est au-dessus de tous, par la Watch Tower Bible [soit] béni éternellement. and Tract Society of Pennsylvania. Amen. ” — New York.
1970 “ et d’eux est venu le Messie The New American Bible, (je parle de ses origines par la Confraternity of Christian humaines). Que soit béni Doctrine. — New York. pour toujours Dieu qui est au-dessus de tout ! Amen ! ”
1976 “ et Christ, en tant qu’être Good News Bible humain, appartient à leur race. — Today’s English Version, Que Dieu, qui domine sur tout, par l’American Bible Society. soit loué pour toujours ! — New York. Amen ! ”
Dans les passages cités ci-dessus, on considère ὁ ω̉̀ν (ho ôn) comme le début d’une phrase (ou proposition) qui se rapporte à Dieu et qui exprime une bénédiction à son adresse pour les dispositions qu’il a prises. Ici et en Ps 67:19 LXX, le prédicat εὐλογητός (eulogêtos, “ béni ”) se trouve après le sujet θεός (théos, “ Dieu ”). — Voir Ps 68:19, note.
Voici ce que G. Winer dit dans son livre A Grammar of the Idiom of the New Testament (Andover 1897, 7e éd., p. 551) : “ Quand le sujet constitue l’idée principale, surtout quand il fait antithèse à un autre sujet, le prédicat peut et doit être placé après lui, cf. Ps. lxvii. 20 Sept [Ps 67:19 LXX]. Et ainsi en Rom. ix. 5, si les termes ὁ ω̉̀ν ἐπὶ πάντων θεὸς εὐλογητός, etc. [ho ôn épi pantôn théos eulogêtos, etc.] se rapportent à Dieu, l’ordre des mots est celui qui convient, qui s’impose même. ”
Une étude minutieuse de cette construction en Rm 9:5 se trouve dans le livre de E. Abbot, The Authorship of the Fourth Gospel and Other Critical Essays (Boston 1888, p. 332-438). Voici ce que l’auteur dit aux p. 345, 346 et 432 : “ Mais, ici, ὁ ω̉̀ν [ho ôn] est séparé de ὁ χριστός [ho khristos] par τὸ κατὰ σάρκα [to kata sarka], expression qui, à la lecture, doit absolument être suivie d’une pause — pause qui est prolongée du fait que le κατὰ σάρκα [kata sarka] se trouve accentué par le τό [to] ; et la phrase qui précède est complète en soi grammaticalement, elle ne nécessite pas d’autre élément logiquement ; car c’est seulement quant à la chair que le Christ est issu des Juifs. D’autre part, ainsi qu’on l’a vu (p. 334), l’énumération, juste avant, de bénédictions que vient couronner l’inestimable bénédiction que fut l’avènement de Christ, cette énumération conduit tout naturellement à une formule de louange : on rend grâces à Dieu, on le loue comme l’Être qui domine sur tout ; tandis qu’une doxologie se perçoit également dans le ᾿Αμήν [Amên] à la fin de la phrase. À tous les points de vue, donc, la construction doxologique semble s’imposer. (...) Qu’une pause soit naturelle après σάρκα [sarka], c’est ce qu’indique aussi le fait qu’on trouve un point après ce terme dans tous nos MSS les plus anciens, qui sont donc témoins, à savoir A, B, C, L. (...) Je peux citer à présent, outre les onciaux A, B, C, L, (...) au moins vingt-six cursifs qui ont un signe pausal après σάρκα, le même en général que celui qu’ils ont après αἰω̃νας [aïônas] ou ᾿Αμήν [Amên]. ”
C’est donc Dieu qui est loué en Rm 9:5. Ce verset n’identifie pas Jéhovah Dieu à Jésus Christ.
Voici comment traduisent les principales traductions françaises.
Bible en français courant :
Ils sont les descendants des patriarches et le Christ, en tant qu’être humain, appartient à leur peuple, lui qui est au-dessus de tout, Dieu loué pour toujours. Amen.
La Bible Parole de Vie :
et les ancêtres célèbres. C’est dans leur peuple que le Christ est né comme être humain, lui qui est Dieu au-dessus de tout. Louange à lui pour toujours ! Amen !
La Colombe :
les patriarches, et de qui est issu, selon la chair, le Christ, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni éternellement. Amen
Nouvelle Bible Segond :
les pères, et de qui est issu, selon la chair, le Christ, qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour toujours ! Amen !
Tob :
et les pères, eux enfin de qui, selon la chair, est issu le Christ qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement. Amen.
Osty :
à qui sont les Pères, et de qui est le Christ selon la chair, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour [tous] les siècles. Amen !
Jérusalem :
et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement ! Amen.
Dans un premier temps, aucune traduction n’applique clairement ce verset à Christ sauf Parole de Vie qui traduit :
lui qui est Dieu au-dessus de tout.
Pourtant, les exégètes ne sont pas tous d’accord avec cette doxologie appliquée au Père. Voici ce que déclare le commentaire de la Bible Osty :
D’autres mettent un point après Christ et rapportent à Dieu la fin du verset :"Que le Dieu qui est au-dessus de tout soit à jamais bénie !" Cette déclaration ne nous paraît pas fondée.
Le commentaire de la Bible de Jérusalem (version 1973) va dans le même sens et applique ce verset à Christ et non au Père :
La doxologie s’adresse au Christ. Paul pense toujours à lui dans sa réalité concrète de Dieu fait homme, Ph 2 5s+ ; Col 1 15+, mais il lui donne le titre divin de Seigneur...
La traduction oecuménique de la Bible comprend de la même façon ce verset et l’applique également à Christ :
Certains commentateurs, coupant la phrase après Christ, comprennent la fin du verset comme une doxologie adressées au Père : Celui qui est Dieu au-dessus de tout, est (ou soit) béni éternellement. Amen. Bien que pouvant se réclamer de plusieurs parallèles (Rm 1,25 ; 2 Co 1,3 ; 11,31 ; Ep 1,3), cette interprétation est, dans le cas présent, difficile à justifier grammaticalement ; d’autre part, elle semble moins bien convenir au contexte.
La Bible annotée de Neuchâtel nous éclaire sur ce passage de l’apôtre Paul :
Puis il ajoute une sorte de doxologie, que l’on peut rapporter soit au Christ lui-même, soit à Dieu le Père. Dans ce dernier cas, il faut mettre un point après le Christ, et traduire : "Celui qui est au-dessus de toutes choses, Dieu soit béni éternellement."
Les manuscrits les plus anciens étant dépourvus de ponctuation, la question ne peut être tranchée que par l’exégèse. Les Pères de l’église les réformateurs et la majorité des interprètes modernes rapportent cette phrase au Christ, que l’apôtre désignerait comme étant au-dessus de toutes choses, Dieu béni éternellement.
Plusieurs exégètes (Meyer, Oltramare) et quelques éditeurs du texte (Tischendorf) estiment que la doxologie a Dieu pour objet. D’autres (Reuss, Stapfer) attribuent au Christ l’épithète : lui qui est au-dessus de tous (on peut aussi traduire par le masculin) et réduisent la doxologie aux mots : Dieu soit béni éternellement. L’ordre des mots, dans le grec, est peu favorable a cette interprétation.
On a conjecturé enfin que la doxologie était une note écrite en marge par un lecteur judéo-chrétien, ému de tous ces privilèges de son peuple note qui se serait glissée dans le texte. Cette supposition ne se fonde sur aucune variante dans les manuscrits.
On objecte à l’application de la phrase entière au Christ : 1° qu’il n’y a pas d’exemple dans le Nouveau Testament de doxologie qui ait Christ pour objet ; 2° que jamais Paul n’appelle Christ Dieu, et que l’expression : Dieu qui est au-dessus de toutes choses désigne sûrement le Créateur tout-puissant, elle serait en contradiction avec l’idée paulinienne de la subordination du Fils au Père.
A la première objection, on peut opposer 2Timothée 4.18. Du reste notre proposition, rapportée à Christ, n’est pas, à proprement parler, une doxologie ; c’est l’énoncé de son origine divine, qui fait antithèse à la mention de son origine humaine.
La christologie de l’apôtre lui permet d’appeler Christ Dieu, dans le sens où Jean applique ce terme à la Parole avant son incarnation. (Jean 1.1) On peut se demander si Paul ne donne pas ce titre à Christ dans Ephésiens 5.5, et 2.13.
Dans Colossiens 2.9, il dit de Christ : "Toute la plénitude de la divinité habite corporellement en lui." Il n’est donc pas inadmissible que, dans notre passage, il l’appelle Dieu. Il le présente comme l’instrument et le but de la création ; (1Corinthiens 8.6 ; Colossiens 1.16,17) il peut donc dire qu’il est au-dessus de toutes choses. (comparez Philippiens 2.6-11)
Il ne faut pas, du reste, réunir les deux épithètes : Dieu et au-dessus de toutes choses ; il vaut mieux traduire : lui qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni éternellement. Il nous paraît plus indiqué, dans ces conditions, de rapporter la proposition à Christ, pour les deux raisons suivantes.
1° Il n’y a rien dans le contexte qui est pu engager l’apôtre à intercaler une doxologie en l’honneur de Dieu le Père, par celle ci le fil du discours se trouverait coupé. Elle ne saurait être conçue comme l’expression de sa reconnaissance, provoquée par les privilèges d’Israël, qu’il vient d’énumérer, puisque, dans sa pensée, cette énumération n’a d’autre but que de faire ressortir la culpabilité du peuple. Il n’est pas naturel non plus de concevoir la doxologie comme une protestation contre l’incrédulité des Juifs (comparez Romains 1.25)
2° Après la désignation de l’origine humaine du Christ : issu des Israélites selon la chair, on attend, comme complément de cette pensée, une mention quelconque de son origine et de sa grandeur divines (comme dans Romains 1.3,4 ; 1Timothée 3.16 ; Philippiens 2.8) et cela d’autant plus que le but de l’apôtre est de montrer la grandeur du don de Dieu en Jésus-Christ.
Le point de vue sur ce verset de la Société Watchtower est tranché et sans appel. Pourtant, G. Winer dit dans son livre A Grammar of the Idiom of the New Testament que si les termes ὁ ω̉̀ν ἐπὶ πάντων θεὸς εὐλογητός, etc. [ho ôn épi pantôn théos eulogêtos, etc.] se rapportent à Dieu, l’ordre des mots est celui qui convient, qui s’impose même. Son point de vue n’est donc pas définitif et c’est une hypothèse.
On ne peut douter de la qualité des traducteurs de la Bible de Jérusalem, Osty et Tob qui ne partage pas, quant à eux, le point de vue grammatical de E.Abbot. Ces spécialistes sont d’avis que ce terme Dieu s’applique à Jésus et le commentaire de la Tob ajoute que l’application de ce terme à Dieu et non à Jésus est difficile à justifier grammaticalement et que dans le contexte, il s’appliquerait davantage à Jésus qu’au Père.
Le commentaire de la Bible annotée de Neuchâtel est également intéressant car il est possible, du point de vue grammatical, que ce terme Dieu s’applique aussi bien au Père qu’au Fils. Néanmoins, ce commentaire précise que cette proposition se rapporte à Christ pour 2 raisons.